La Fête de l'Aïd El Kebir aux Anciens Abattoirs de Marseille
Fête ignorée des catholiques, l’Aïd El Kebir est au musulman ce que Noël est au chrétien : la fête religieuse et familiale par excellence.
Célébrée en souvenir d'Abraham qui s’apprêtait à sacrifier son fils lorsque Dieu lui retint le bras pour l'inviter à choisir plutôt un mouton, l’Aïd est d'abord la célébration de ce sacrifice si bien qu'au risque de mener une comparaison audacieuse on peut dire que ce rituel est a rapprocher de celui païen et plus familier dans les campagnes françaises, du sacrifice du cochon. Moment solennel qui convoque famille, amis et voisins pour marquer un temps d’opulence et de partage, le sacrifice suppose que l'on choisisse l'animal avec soin puis qu'on le tue dans les règles de l'art et de la tradition avant de le préparer.
Les lois françaises qui réglementent scrupuleusement l’abattage animal interdisent le sacrifice à domicile et obligent les musulmans à organiser collectivement la cérémonie.
C'est ainsi qu'à Marseille, les anciens abattoirs ressuscitent une fois l'an et que plusieurs milliers de moutons y sont parqués plusieurs jours avant l’Aïd pour que chacun puisse venir choisir sa bête.
Le jour dit, les tueurs sont à pied d'oeuvre, officient avec maîtrise.
Les hommes portent et dépècent, les femmes et les enfants s'affairent sur la tripaille dans une effervescence des grands jours, tandis que vétérinaires et responsables des services sanitaires vérifient la viande avant de la marquer du tampon bleu officiel.
L’abattage de plusieurs milliers de bêtes en quelques heures ne va pas sans provoquer un spectacle pénible pour une âme non avertie et c'est en toute conscience de ce problème que les participants voient d'un mauvais oeil la présence d'appareils photos et de caméras.
Si la célébration d'un sacrifice réclame concentration et pudeur, ici c'est la peur d'être considérés comme des barbares qui poussent les musulmans à se protéger des regards voyeurs qui risquent de ne retenir de la situation que ses aspects les plus visibles, stress des bêtes dans la foule, flots de sang, couteaux et hachettes tranchant dans le vif, têtes et tripes jonchant le sol, odeurs d'intestins qui se vident, bref l’apocalypse selon sainte Bardot.
Il faut alors dans cette ambiance, parler, écouter chacun célébrer la réconciliation et le partage, évoquer la solidarité entre nantis et pauvres, se réjouir de voir la famille réunie.
Ainsi l'ignorance cède la place à la découverte d'une culture religieuse qui nous est aussi voisine qu'ignorée et nous ouvre à évoquer les valeurs universelles, en toute entente et dans une réelle complicité.
Il est à souhaiter que la communauté musulmane parvienne à nous informer
et que les autres communautés religieuses profitent d'un moment aussi fort que la célébration du sacrifice d'Abraham pour se découvrir et, ce qui est le but final de l’Aïd, partager.

Jean-Georges TARTARE, MARS 1999.